Résumé Cet article interroge les liens entre religion et action humanitaire/pour le développement à travers le cas de la religieuse française sœur Emmanuelle. Il fait valoir que ces catégories se chevauchent et sont mutuellement constitutives. Deux arguments sont mis en avant. Premièrement, replaçant l'action de sœur Emmanuelle dans le contexte de l'évolution de la mission chrétienne, nous soutenons que son approche matérialiste laïque illustre une mutation dans la mission au cours du XX e siècle, à savoir la relégation au second plan de la conversion au profit d'une nouvelle forme de solidarité humanitaire?: la lutte pour le «?développement?». Deuxièmement, en examinant la mobilisation d'acteurs «?religieux?» et «?non-religieux?» par sœur Emmanuelle, une telle dichotomie est problématisée en démontrant sa porosité. La religion a joué un rôle important, surtout dans les coulisses, pour fédérer les efforts de développement avec les ramasseurs de déchets du Caire, mais elle pouvait aussi être une entrave, lorsqu'elle était trop explicite.
L'objectif de cet article est d'examiner les déchets comme signifiants politiques en Tunisie à travers deux exemples récents. Le premier est la campagne de Ḥālit waʿī, nom donné à des initiatives de nettoyage et d'embellissement des trottoirs, des parcs et de la voirie dans plusieurs villes de la Tunisie, par lesquelles les supporters de Kaïs Saïed ont célébré l'élection de l'« homme propre » à la tête de leur pays en octobre 2019. Le second est la fermeture de la décharge contrôlée de la deuxième ville du pays, Sfax, en octobre 2021. Cet événement a conduit au non-ramassage des déchets pendant plusieurs mois, à des clashs violents entre riverains et forces de l'ordre, à l'intervention de l'armée et, in fine, à une crise nationale. Les deux incidents se déploient et sont interprétés à travers des registres politiques et patriotiques dans lesquels la notion de l'environnement (en particulier celle de « justice environnementale », qui reste relativement neuve dans le discours public en Tunisie) joue un rôle secondaire. Nous essayons de montrer comment l'amoncellement des ordures est, ainsi, plutôt une sorte de raccourci pour prendre le pouls politique du pays : l'embellissement et l'enlèvement de déchets permettant une mise en scène d'aspirations pour le changement politique, l'accumulation de déchets agissant comme une métaphore pour le dysfonctionnement du système politique. La prégnance de ce système de métaphores politiques autour des déchets et de la propreté est plus large et peut s'appliquer à l'ensemble de la région moyen-orientale.